Lukas, Asmussen : quand le Kentucky Derby 2024 nous ramène aux années 80 !

D. Wayne Lukas est de retour !

Les Etats-Unis nourrissent un incroyable paradoxe. Dans ce qui a toujours été appelé le nouveau monde, pays de la chance pour tous, des "self made men", de la créativité et de l'innovation, ce sont des grabataires qui se disputent le pouvoir suprême. Déjà hors d'âge lors de la dernière élection, Joe Biden et Donald Trump sont repartis pour un tour alors qu'il auront 170 ans à eux deux lors de la prochaine élection présidentielle américaine.

En parallèle, l'inaltérable D. Wayne Lukas revient au 1e plan de la scène hippique. Déjà quadruple vainqueur du Kentucky Derby entre 1988 et 1999 avec la femelle Winning Colors, puis Thunder Gulch, Grindstone et Charismatic, Il s'apprête ainsi à seller un nouveau partant avec une chance dans le prochain " Run For The Roses" à Churchill Downs, 4 mois avant de célébrer son 89e anniversaire. Il sera alors le plus vieil entraineur de tous les temps aux Etats-Unis, et certainement dans l'histoire des courses mondiales (en tout cas à haut niveau sportif), battant ainsi le record de 88 ans du légendaire Sunny Jim Fitzsimmons, qu'il a déjà dominé au titre de recordman de victoires dans les épreuves de la triple couronne américaine. D. Wayne Lukas a ainsi remporté son 14e succès de "triple crown" dans les Preakness Stakes (Gr.1) avec Oxbow, cheval d'un jour retombé ensuite dans l'oubli.

D.Wayne Lukas, tous les matins à cheval à 88 ans.

 Associé à Gary Stevens, alors ancien crack jockey en fin de carrière, cet exploit sonnait comme une heureuse anomalie dans le destin de D. Wayne Lukas, qui avait disparu des "charts" soudainement depuis le début des années 2000, après avoir avoir illuminé la scène américaine dans les années 80 et 90, pendant lesquels il avait gagné le titre de "champion trainer" à 14 reprises ! Très marqué par son époque, immanquablement paré de son large chapeau de cow-boy, y compris au dessus d'un costume 3 pièces, cet homonyme de John Wayne et pur produit des années "Reagan" règnait aussi sur la réunion de la Breeders'Cup, dont il a remporté 20 éditions dont 17 entre 1985 et 2000 !

La pouliche Winning Colors remporte de bout en bout le Kentucky Derby 1988 sous la selle de Gary Stevens.

Puis les choses se sont gâtées. Alors qu'il passait le cap des 70 ans et qu'il se faisait damer le pion en haut de l'affiche par le lumineux Bob Baffert ou son ancien assistant Todd Pletcher, tous ses principaux propriétaires sont morts de vieillesse... Lassé de diriger une très grosse machine, Lukas a déménagé à Okloawn Park, sorte de trou du cul des Etats-Unis dans l'Arkansas au centre du pays, avec une petite quarantaine de chevaux afin de pouvoir s'occuper d'eux tous au quotidien par lui-même. Certes réduite, la maison Lukas fut encore capable de certains coups d'éclat dans la Breeders'Cup, en 2012 avec Hightail et avec Take Charge Brandi en 2014. Mais avec la mort de son fils unique Jeff Lukas, son bras droit, jamais remis d'un terrible accident subi en 2013 à cause de champion Tabasco Cat, puis le Covid dont le vieux Wayne a été très malade au point de quasiment fermer l'écurie pendant 2 ans, l'histoire semblait devoir se terminer à cause de l'implacabilité du temps du passe.

Just Steel, 2e de l'Arkansas Derby, aura une chance importante dans le Kentucky Derby (Gr.1)

Mais Lukas est véritablement éternel. Debout tous les jours à 3h du matin, immanquablement à cheval entre son quarter horse et son stetson, accompagné par sa 4e femme, Laurie, cet ancien professeur d'école et coach de basket, a ainsi remporté les Kentucky Oaks (Gr.1) en 2022 avec Secret Oaks (Arrogate). Il a même des nouveaux propriétaires qui ont massivement investi dans les yearlings à Keeneland et ses boxes comportent désormais une majorité de 2 ans. Lukas va donc seller 2 partants lors du grand week-end de Churchill Downs : Lemon Muffin (Collectd) dans les Kentucky Oaks et Just Steel (Justify) dans le Kentucky Derby.

Keith Asmussen, le père de Cash et Steve, le grand-père de Keith Jr, a été un jockey de quarter horse pendant 38 ans, ayant beaucoup monté pour D. Wayne Lukas.

Avant de basculer dans le monde du pur-sang en 1969, Lukas s'était lancé sur ses terres natales du Wisconsin, au Nord des Etats-Unis, dans les courses de quarter horses, une scène qu'il a rapidement dominé, et ce pendant une 10aine d'années. A l'époque, il faisait très souvent monter le jockey vedette de la discipline, un certain...Keith Asmussen. Le 1e week-end de mai, à Churchill Downs, il va faire monter un autre Keith Asmussen, le petit-fils du 1e nommé ! Le patronyme des Asmussen a profondement marqué les courses modernes des 2 côtés de l'Atlantique. En effet, Keith Senior, jockey de quarter horse pendant 38 ans, a eu 2 fils devenus très célèbres : Cash et Steve.

Cash Asmussen, tout jeune jockey en France, ici avec Daniel Wildenstein et André Fabre.
 

Le 1e nommé, surnommé Cash mais de son vrai nom Brian Keith Asmussen, a transformé à lui seul les courses françaises sinon européennes dans les années 80. Champion apprenti des Etats-Unis, vainqueur de l'édition inaugurale de la Japan Cup à seulement 19 ans avec Mairzy Doates en 1981, il s'installe en France à 20 ans en 1982, en ayant décroché un contrat de 1e monte avec le propriétaire Stravos Niarchos. Cash importera dans le Vieux Continent le style de monte à l'américaine, montant en pointe de pied, très aérodynamique et couché sur le cheval dans la ligne droite. Ce style moderne a été adopté par tout le monde désormais, et le 1e qui l'a imité fut Olivier Peslier.

Les 2 frères, Cash et Steve Asmussen.

Rapidement embauché par André Fabre, Asmussen remporte 5 cravaches d'or entre 1985 et 1990, puis l'Arc de Triomphe avec Suave Dancer en 1991 pour John Hammond, et toutes les grandes courses françaises, dont un ultime classique dans le Prix du Jockey-Club 1999 avec Montjeu. Particulièrement grand, et en constante difficulté avec son poids, Cash Asmussen a pris sa retraite à 39 ans en 2001 et est reparti vivre aux Etats-Unis, tout en ayant marqué les mémoires de tous les turfistes et les professionnels. Il a crée, sur le domaine familial de Laredo au Texas, la Asmussen Equine Academy.

Après le Jockey-Club, Montjeu s'envole avec Cash Asmussen dans le Derby d'Irlande.

Son frère cadet, Steve, père du jeune Keith, a quant à lui peu monté en course en raison de son physique trop imposant. Devenu rapidement entraineur, il s'est élevé au rang de star, le 1e entraineur et toujours le seul à avoir dépassé le cap des 10.000 victoires. Mentor du crack Curlin, il a remporté 2 fois la Breeders'Cup Classic, la Dubaï World Cup, 2 fois les Preakness Stakes et 1 fois les Belmont Stakes, mais il lui manque encore la plus belle.

Keith Asmussen
 

Lui-même entraineur avec un père jockey et une mère déjà entraineur en son temps, Steve Asmussen n'a pourtant pas enouragé son propre fils Keith a entré dans le métier. Bien au contraire. Particulièrement grand (1,78 m), le jeune Keith n'avait jamais monté à cheval avant ses 16 ans ! Il a débuté en course à 20 ans en 2020, avec 6 victoires, mais son père l'a contraint à arrêter pour le forcer à obtenir son diplôme universitaire.

Diplômé de l'université, Keith Asmussen est le gendre parfait !

Mais le Covid l'a aidé à devenir quand même jockey. Bloqué à la maison à défaut de partir vivre à l'université, il montait à cheval tous les jours pour sortir de ses cahiers et prendre l'air, ce qui lui a fait prendre de l'expérience mais aussi aidé à garder la forme physique et maîtriser son poids. Diplôme en poche, Keith Asmussen s'est de nouveau essayé sous la casaque. Fin 2022, il tente sa chance professionnellement en quittant le domaine de Laredo dans son Texas Natal pour s'essayer sur le circuit moins concurrentiel d'Oklaoma dans l'Arkansas...où il a rencontré le vieux Lukas. Doué du génie familial, Keith Asmussen, encore tout jeune cavalier à 25 ans qui compte à peine plus de 100 victoires. Il a remporté pour Lukas son 1e Gr.3 le 24 février dans les Honeybee Stakes avec Lemon Muffin, la pouliche qu'il va monter dans le Kentucky Derby.

Keith Asmussen remporte sa 1e course de Groupe avec Lemon Muffin pour Wayne Lukas le 25 février dans le Honeybee Stakes (Gr.3) à Oaklawn Park dans l'Arkansas.
 

En attendant le Kentucky Derby, Keith Asmussen a quitté son cher Arkansas d'adoption pour venir monter le 24 avril des chevaux d'un autre entraineur également star des années 80 : Patrick Biancone ! Aujourd'hui âgé de 72 ans, cet entraineur a gagné l'Arc de Triomphe en 1983 avec All Along. Egalement mentor de la dame de fer Tryptich, Patrick Biancone s'est installé à Hong Kong pendant toutes les années 90 où il a obtenu un grand succès avant de voir sa licence supprimée suite à un contrôle positif. Il est désormais installé aux Etats-Unis, où il a démarré très fort en terminant 2e du Kentucky Derby 2004 avec Lion Heart, avant d'avoir quelques soucis légaux avec les autorités du Kentucky suite à des affaires de venin de cobra. Les années 80, ça reste toute une époque !